Réalisée au Mamiya 7II, cette série se concentre sur une réalité géographique : la partie orientale de la Vieille Castille et ses hauts plateaux entourant la Sierra de Urbion dans la Cordillère Ibérique. D’une altitude moyenne de 1200 mètres ils s’étendent, d’Ouest en Est, du méridien de Burgos à celui de Tarazona et, du Nord au Sud, entre les cours de l’Ebre et du Duero jusqu’à la ville de Soria, bastion historique du royaume de Castille. Cette région est actuellement l’une des plus dépeuplées du continent européen avec seulement 9 habitants au kilomètre carré. Structures économiques inadaptées, manque de travail, urbanisation incontrôlée des années 1960-1970, faibles ressources naturelles, rudesse du climat continental, la température pouvant passer de 0 degré en janvier à 42 degrés en juillet et août. Les causes de l’exode de la population sont multiples et puissantes.
Mais s’il est dur aux vivants ce territoire est aussi un prodigieux gardien de leur mémoire. Au long des routes qui taillent leur sillon dans le paysage accidenté, le voyageur découvre d’étonnants vestiges : habitations troglodytes creusées dans la roche rouge, vieilles églises abandonnées aux fresques recouvertes par l’obscurité et le silence, dinosaure en plastique vert grandeur nature, squelette entier d’un village perché vide d’habitants, piscine transformée en décharge d’un hôtel bon marché ; ce ne sont là que quelques exemples. Cette terre, témoin des strates de mondes et de civilisations disparus ou en voie de disparition, livre à qui s’y aventure une histoire de l’humanité sur plusieurs millions d’années. Y pénétrer donne le sentiment d’entrer dans un autre monde, avec sa propre mesure du temps.
Le travail que j’ai mené n’a pas été d’établir un catalogue des ruines et d’objets laissés à l’abandon sur place, mais de faire ressentir l’atmosphère étrange et déroutante, parfois jusqu’à l’absurde, de ce lieu unique. Tenter de mettre en images ces mots de Michel del Castillo : « Pas plus que les hommes, les pays ne peuvent vivre sans mémoire ». J’ai souhaité faire émerger de ces objets délaissés, morceau par morceau, par l’ensemble des ponctuations qu’ils forment, une cartographie en creux du territoire où il demeurent, seuls ces « minimums de monde visible », évoqués par Borges dans Les ruines circulaires, conservant le souvenir du passage des vivants.